"Pourquoi" de Vincent Michel,
Oeuvre pour cor, harpe, récitant et bande électroacoustique
Commande du Festival Harpe en Avesnois, crée le 5 Mars 2017 pendant le récital cor et harpe d'Annouck Eudeline et Céline Mata,
avec la participation exceptionnelle de Xavier Jaillard.
"Six mois au taquet pour une création!"
Première quinzaine d’aout 2016, tout le monde n’était pas en vacances.
C’est à cette période que, sur la suggestion de Céline Mata, le président de l’association du Festival Harpe en Avesnois, Jean Duprey, a songé me commander une pièce pour cor et harpe. À la harpe, ce serait donc Céline Mata, et au cor, Annouck Eudeline, en poste à l’orchestre d’Ile de France.
Il souhaitait une œuvre d’environ 13 minutes reposant sur un poème d’Émile Verhaeren intitulé « La vie ardente ». Au cours d’un échange téléphonique, je parviens à le convaincre d’accepter un quatrième participant : une bande. Car j’avais ma petite idée déjà bien plantée là.
Certes j’aurais peut-être préféré des textes de Zéno Bianu, pour la musique, pour l’actuel, pour l’homme. Mais lorsqu’on vous propose une commande de 13 minutes pour un festival, et que l’on accepte vos délires électroacoustiques au format 4.1, vous faites probablement comme moi : vous dites oui.
Aussi, pour ce texte, il nous fallait un récitant.
Il en existe certainement beaucoup qui auraient aimé ce projet mais, à dire vrai, nous n’en avons trouvé qu’un, qui n’était du reste pas très emballé par ce poème, et encore moins à l’idée de faire de la musique contemporaine. Il s’agissait de Xavier Jaillard avec qui Céline montait par ailleurs un programme poésie/musique qui se donne au moment où j’écris ces lignes. Un monsieur avec une grosse carrière à son actif, parolier chez Barclay, directeur de théâtre, auteur de pièces et de romans, comédien…
Il lui a suffi de faire un petit tour sur mon site pour constater que je ne composais « pas vraiment de la musique contemporaine ». « C’est beau ce que vous faites », me dit-il gentiment. « C’est que je n’ai pas fait d’études », m’excusé-je. Et lui de conclure : « Alors c’est d’accord, mais à la condition que je choisisse mon texte ». Avec sa grosse voix, on comprend tout de suite mieux ce qu’il veut dire…
Exit Verhaeren, exit Bianu. Il m’envoie plusieurs propositions, dont la fameuse Prière à Dieu de Voltaire, extraite du Traité sur la Tolérance. J’y adjoins d’autres extraits voltairiens du Dictionnaire Philosophique et voilà : en trois échanges de courriels, Xavier et moi avons élaboré le texte sous sa forme quasi définitive. Un pavé philosophique plus que poétique.
Xavier et moi nous engageons auprès de Jean Duprey : nous ne tiendrons aucun propos anticlérical. Cela aurait été assez malvenu puisque la création aura lieu dans une église. N’est-ce pas.
Nous somme mi-septembre ; il a été patient, Jean Duprey, et je l’en remercie chaleureusement !
J’attaque donc bille en tête avant même d’avoir reçu le contrat de commande. Pas un instant à perdre. La partition doit être terminée avant la fin de l’année pour que nous ayons tous le temps de la retravailler, car je ne connais rien au cor et je suis assuré d’être copieusement à côté de la plaque de ce côté !
L’idée, la voici, elle tient en un seul mot : hybride.
Si vous lisez la Prière à dieu, vous vous rendez immédiatement compte que ce que réclamait Voltaire à l’époque – un minimum de tolérance, de dignité, d’intégrité, de paix – n’est toujours pas là aujourd’hui. Je me dis alors : « Pourquoi solliciter, encore et encore, vainement, ce qui semble ne jamais devoir advenir ? Pourquoi radoter ainsi ? »
Non, mettons autre chose en œuvre. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? La musique tentera d’apporter une réponse. Et l’émotion. Parce que peut-être un poil trop populaire, l’émotion n’est ni dans la philosophie de Voltaire ni dans la musique contemporaine. Eh bien cette pièce serait donc hybride.
J’ai utilisé un plugin appelé Morph, vous l’aurez deviné, pour « morpher » des sonorités hybrides, inouïes, de « harpe cuivrée » ou de « cor pincé », avec toutes les combinaisons possibles de flutter, d’harmoniques, de souffle à vide, de table frappée… tissant ainsi une sorte de ciment fusionnel pour conclure ce récital cor et harpe. Ces sonorités jouent à cachecache avec les vraies, se promenant dans l’espace et flirtant parfois avec l’ambigu. Je leur fais jouer des drones ou du contrepoint, peut-être un peu les deux en même temps – un texte de 1763 redit dans un monde différent où rien n’a changé – et il n’est pas toujours facile d’entendre distinctement qui fait quoi.
Fin décembre, comme un cadeau de noël un peu rude, la partition est livrée. Et finalement, elle nécessite plus de retouches pour la harpe. Faire tomber la musique sous les doigts (et sur des temps carrés) n’a pas toujours été mon principal souci, je dois le reconnaitre.
Janvier et février, c’est trop court pour tout le monde. Céline et Annouck bagarrent avec le tempo et les mesures parfois… comment dire… hybrides… Xavier rencontre le métronome et ne fait pas copain avec. Je travaille sur la bande entre 4 et 9 heures par jour, absolument tous les jours. Je l’envoie une première fois à l’ingénieur de mastering qui me demande de reprendre beaucoup de choses… Expliquer à quoi ressemble le travail en électroacoustique, j’en serais bien incapable.
Cette bande est constituée de 18 échantillons séparés, parfois joués avec des recouvrements. L’audio est en très haute définition : fréquence de 96 kHz, résolution en 32 bit à virgule flottante, format quadrophonique avec une gestion en temps réel des basses fréquences qui sont orientées vers un caisson de basses. Pas plus de son que le cor – maximum 85 dB SPL – mais du gros.
La mastérisation finale est faite cinq jours avant le concert par Domique Bassal, au Studio Inverse à Montréal, qui depuis bientôt un an m’enseigne beaucoup sur le son et la manière de le tripatouiller.
La presque totalité du matériel sonore des échantillons est issue de cette hybridation entre le cor et la harpe, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’y ajouter du gong (ce son cuivré !) et un patch de synthétiseur assez simple qui surfe sur les bisbigliandos de la harpe et utilise ses résonances pour constituer une nappe et une basse. Un peu facile pour la séquence émotion, mais le résultat est bien là. J’utilise également les résonances de la harpe pour un court passage morphé avec de la voix, nous avons tous déjà entendu l’effet du vocodeur, émotion encore, au moment où l’on aborde le climax.
Puis le récitant s’éclipse, laissant place à un vrai duo plutôt classique, et une fin assez simple où la bande réapparait avec un dernier petit cliché de contrepoint sur le cor, et du vent, du vent, du vent.
Car nous ne sommes que poussières dans le vent, pas vrai ?
La pièce a été créée dimanche 5 mars 2017 dans l’église de Ferrière-la-Grande. La nef était comble, la lumière tristounette, et nous avons tous les quatre mis un pain ou deux dans la partition.
Mais la sauce a fortement pris, et c’est ça qui compte.
Trempe ton pain Marie, trempe ton pain dans la sauce.
Notice de la partition
À l’exception d’un gong, de quelques voix féminines et d’une courte séquence sur synthétiseur Oberheim, les sons de la partie électroacoustique sont essentiellement obtenus par un procédé de « morphing » appliqué sur des pistes audio de cor et de harpe (jouée et frappée) composées spécialement.
L’insérable utilisé est Morph de Zynaptiq. Autres insérables utilisés : Evolution (GRM-Tools), égaliseur Hofa, compresseur multibande FabFilter, UVI Falcon, sampleur G-Player 64… Processus de panoramisation et patch de prestation « live » développés dans Sensomusic Usine.
Les échantillons multicanaux haute définition ont été mastérisés par monsieur Dominique Bassal au Studio Inverse, Montréal, Canada.
Le texte est composé d'extraits du Traité sur la tolérance et du Dictionnaire philosophique de Voltaire, publiés respectivement en 1763 et 1764. Le Dictionnaire philosophique était pensé et conçu pour les voyages, les échanges et la dissémination.
Nul ne devait l'arrêter, nul ne pouvait éteindre son feu…
Pourtant, plus de deux siècles et demi plus tard, rien ne semble avoir évolué. Il suffit de changer la couleur d'un habit et voilà que le texte de Voltaire dénonce ce dont nous sommes témoins chaque jour. Ces outrances, tromperies, fanatismes, haines, violences et injustices contre lesquelles il s'élevait impitoyablement demeurent bien malheureusement actuelles, et d'autant plus inacceptables. Force nous est d'admettre que ces textes sont restés lettre morte.
Pourquoi… pourquoi continuer d'appeler à la paix, à la tolérance, à la sagesse, puisqu'elles ne semblent jamais poindre à l'horizon ?
Pourquoi, c’est une interrogation. C'est le titre d'un des articles du Dictionnaire philosophique, et maintenant celui de cette pièce.
Et la musique est là pour tenter d’y répondre.
Site officiel de Vincent Michel: https://www.vincentmichel.eu/




